Auteur de l’article : Olivier Boyaval

Cet article, à l’origine créé pour mon ancien blog, a fait l’objet de remarques sur le forum de Casus No. Les remarques ne sont plus accessibles mais le sujet porte à polémique. Cet article reflète donc mon point de vue.

Lorsque l’on crée une œuvre (livre, dessin, …), il peut être intéressant d’y ajouter une licence. À l’heure de la diffusion des œuvres par internet, c’est d’autant plus important que le piratage des œuvres est facile. Autant indiquer aux utilisateurs de son œuvre ce qu’ils ont le droit de faire avec.

Bien entendu la loi française (ou celle de votre pays si vous n’êtes pas français) protège le droit d’auteur. Vous pouvez vous contenter de cette protection, mais pas toujours et notamment si vous vous basez sur les œuvres créées par d’autres afin de créer la votre.

Nous allons aborder ici les licences adaptées au monde du jeu de rôle mais elles sont, pour la plupart, bien adaptées aux œuvres culturelles (musique, littérature, arts graphiques, …)

Avec le droit d’auteur, personne ne peut diffuser ou modifier votre oeuvre sans  votre consentement. Ainsi, si un tiers vends votre jeu de rôle sans vous le dire, vous pouvez le poursuivre en justice. De la même manière, si quelqu’un sort un jeu en paraphrasant le votre, il enfreint vos droits d’auteur.

Imaginons maintenant que vous voulez publier une campagne pour l’un de vos jeux de rôle favoris. Dans cette campagne, si vous utilisez une partie des règles ou du background de ce jeu alors vous enfreignez les droits de l’auteur du jeu si celui-ci ne l’a pas permis au préalable. Il peut le permettre de 2 façons soit en vous donnant l’autorisation par écrit (sous la forme d’un contrat par exemple), soit en l’ayant spécifié dans la licence de son jeu.

Le principe est le même si vous créez un jeu en vous basant sur l’univers d’un roman, d’une BD ou d’un film. Le but du droit d’auteur est de protéger les œuvres culturelles contre le “pillage” réalisé intentionnellement ou non (comme c’est souvent le cas des créations réalisées par des fans).

À quoi servent les licences alors ?

Si le but du droit d’auteur est de protéger vos créations, celui des licences est d’indiquer ce que vous autorisez dans le domaine de la diffusion et de l’adaptation de celles-ci. Il est important de bien comprendre que la licence ne vous dépouille pas de vos droits d’auteur, ce n’est qu’un renfort juridique complémentaire et aussi une protection pour l’utilisateur car il sait ce qu’il a le droit de faire avec votre création.

Dans le monde informatique, les licences existent depuis toujours. D’abord propriétaires (c’est à dire restrictive dans l’usage en fonction de la licence que vous achetiez), on a vu apparaître avec le mouvement du logiciel libre de nouvelles licences garantissant le droit à la diffusion et à la modification de cette nouvelle génération de logiciels. L’intérêt de partager ses créations, au-delà du côté idéaliste du partage de la culture (dans notre cas), est de permettre à d’autre de participer à leurs évolutions. Dans le monde du jeu de rôle ça peut se traduire par l’enrichissement des règles, mais aussi de l’univers, avec la création d’aides de jeu ou de scénarios par d’autres auteurs.

Les licences

Le domaine public

Une œuvre dans le domaine public offre tous les droits de diffusion et de modification à tout le monde. C’est principalement utilisé dans la littérature, dont les œuvres tombent dans le domaine public un certain nombre d’années après la mort de leur créateur (la durée varie selon les pays). Ainsi on peut obtenir librement les œuvres de certains grands auteurs de la littérature.

Pour avoir assisté à plusieurs débats sur la possibilité de mettre ses œuvres dans le domaine public, il en ressort qu’en France ce ne serait pas possible. Il existe une licence Creative Commons, la CC zéro, qui permet de se rapprocher de l’esprit du domaine public. Vous pouvez l’utiliser pour une création ponctuelle si vous ne vous souciez pas de son avenir ou de vos droits d’auteur.

L’Open Game Licence (OGL)

Appelée Licence Ludique Libre en français, cette licence a été créée par Wizard Of The Coast avec la parution de Donjons et Dragons 3. L’objectif initial était de permettre à des sociétés tierces de créer des suppléments sans autorisation préalable de Wotc. En parallèle fut créée la marque D20 afin de donner une identité commune à ces suppléments, sans pour autant les associer trop étroitement aux productions de Wizard of the Coast. Toutes les règles de D&D n’étaient pas OGL, il était donc nécessaire de disposer au moins du Manuel du Joueur pour utiliser les suppléments créés. Enfin ça c’était la volonté de Wotc, mais dans la réalité la licence OGL a permis de créer des clones légaux de leur jeu et d’utiliser les contenus OGL sans dépendre du manuel des joueurs. Wotc a abandonné cette licence avec la sortie de DD4 ; toutefois, la licence demeure encore sur les produits OGL de la gamme DD3 (principe de non révocabilité de ce qui est déjà diffusé dans cette licence).

Cette licence est utilisée par les produits clones de Donjons & Dragons, car ceux-ci sont basés sur les règles OGL de DD3. Des produits comme Pathfinder ou les rétro-clones de D&D n’existent légalement que grâce à cette licence. D’autres éditeurs ont choisi aussi d’utiliser cette licence comme Mongoose pour sa première version de (Mongoose) Runequest, ce qui a permis de créer le jeu OpenQuest sous licence OGL.
La licence OGL permet d’exclure une partie des règles ou du contenus de la licence OGL. Ces parties restent donc non utilisables légalement sans l’accord de l’auteur (ou l’éditeur). On y retrouve souvent du contenus sous copyright comme des noms de personnages ou de lieux mais aussi certains mécanismes des règles (la gestion de l’expérience dans DD3 par exemple).

Les licences Creative Commons

Les licences Creative Commons viennent du mouvement OpenSource. Elles sont bien adaptées aux produits culturels dont font partie les jeux de rôle. S’il existe 6 licences différentes, seulement 2 sont réellement des licences libres :

  • CC-By (Paternité) : le contenu peut être diffusé et modifié librement sans contrainte. La seule obligation est de citer l’auteur (Paternité). On peut donc modifier l’œuvre, la distribuer de la manière que l’on veut (et donc même la vendre) et choisir la licence de l’œuvre modifiée.
  • CC-By-SA (Paternité, Partage à l’identique) : C’est la même licence que ci-dessus mais avec en plus l’obligation de mettre l’œuvre modifiée sous la même licence CC-By-SA ou une licence équivalente.

Le site  Creative Commons explique bien les différences entre chaque licence.

Il est aussi possible d’interdire l’utilisation commerciale (NC) : CC-By-NC et CC-By-NC-SA. C’est en générale les licences actuellement utilisées dans les jeux de rôle. Par exemple l’éditeur John Doe utilise une licence CC non commerciale (CC-By-NC-SA) pour le SRD de son système Métal utilisé dans le jeu Bloodlust. DungeonSlayers est également en licence non commerciale.

La dernière option est “Pas de Modification” (ND). Cette option fait de la licence Creative Commons, une licence non libre. Elle ne devrait, à mon sens, pas exister. Le seul droit que vous avez est celui de la diffusion.

Pour moi le meilleur choix est la licence CC-By-SA mais c’est un choix personnel. Elle garantit que :

  • Le ou les auteurs seront cités ;
  • Un tiers peut modifier ou adapter l’oeuvre ;
  • L’oeuvre modifiée sera partagé avec les autres sous la même licence (ou une similaire). Si quelqu’un modifie mon oeuvre alors je pourrais aussi l’utiliser avec les mêmes droits.

Maintenant  faut-il autoriser l’utilisation commerciale (CC-By-NC-SA ) ?

Prenons un exemple : vous créez un jeu complet (vous avez donc tous les droits d’auteur) et vous décidez de mettre le jeu sous licence CC-By-NC-SA. Vous pouvez publier votre jeu et le vendre (le NC ne vous concerne pas puisque vous avez les droits d’auteur, pas besoin de demander la permission à quiconque). Une autre personne crée à partir de votre jeu une extension qui devra être au moins sous la même licence. Il la met sous la même licence. Il ne pourra pas vendre son extension car elle dépend en partie de vos droits d’auteur sauf si vous l’autorisez à le faire explicitement. Si maintenant vous voulez récupérer son extension pour l’ajouter à votre jeu, vous devrez lui demander son autorisation avant de pouvoir vendre votre nouvelle version du jeu incluant cette extension.

Si vous autorisez l’utilisation commerciale, chacun pourrait faire évoluer votre jeu et vous serez libre d’inclure les modifications que vous jugerez intéressantes, avec la seule obligation de citer le nom de l’auteur des modifications. C’est sur ce principe que les logiciels libres ont évolués et sont devenus une alternative viable aux logiciels propriétaires.

Bref, c’est un choix personnel.

L’utilisation non commerciale et l’impression à la demande

Prenons le cas d’une traduction d’une œuvre en licence Creative Commons avec l’option Non Commerciale.

Peut-on diffuser notre traduction en impression à la demande en ne prenant pas de bénéfice sur le livre ?

Vous ne toucherez en effet pas d’argent sur chaque livre vendu mais l’imprimeur lui touchera des bénéfices donc vous enfreignez la licence non commerciale. Si vous voulez faire cela, il vous faudra l’accord des auteurs originaux, sinon vous devrez vous contenter d’une diffusion par support électronique gratuit de votre traduction.

Dans quel cas n’a-t-on pas le choix de sa licence ?

Dans les exemples indiqués ci-dessus on voit bien que lorsque l’on reprend totalement ou partiellement l’œuvre d’une autre personne (exemple extension ou traduction) il faut son autorisation. S’il a choisi une licence qui impose de mettre son travail modifié dans la même licence que l’original alors vous n’aurez pas le choix de la licence. Les licences suivantes imposent que vous mettiez la même licence à votre œuvre :

  • Les licences Creative Commons avec l’option Partage à l’identique ;
  • La licence OGL, mais avec la possibilité de mettre certains éléments dans la partie identité du produit (Product identity). Ces derniers ne seront donc pas libres.

Conclusion

Ce sujet impose souvent des décisions difficiles. Il faut toujours faire attention à respecter le droit d’auteur des autres, mais il faut aussi pouvoir protéger le sien.